La politique Agricole Commune va connaître une nouvelle orientation en 2013 avec le vote du budget européen. Cette échéance inquiète nos producteurs et les élus car la France joue dans un marché commun avec des armes qui lui sont défavorables.
Xavier Beulin, président de la chambre d’agriculture du Loiret et vice-président de la FNSEA explique cette inquiétude « depuis une dizaine d’année, nous sommes dans un processus de désengagement progressif de l’Union Européenne en matière de politique agricole. Mais si on n’instaure pas de mécanisme de régulation, on va vers des situations extrêmement instables ». La première source de tracas est donc identifiée, celle de la libéralisation du marché agricole européen.
« Le marché de l’alimentation est trop sensible pour ne pas être réguler car, quand il y a une surproduction mondiale de 5%, les prix baissent de 30% » expliquent Michel Masson, agriculteur céréalier et président de la FDSEA. « Le libéralisme ne marche pas en agriculture. Et ce n’est pas avec la crise financière actuelle que nous allons croire en un marché capable de s’autoréguler » martèle-t-il. Cependant, Xavier Beulin précise « la France n’est pas majoritaire sur la question des outils de régulation. En plus nous ne sommes qu’un membre sur 27, donc nous allons devoir travailler dur pour nous faire entendre et trouver une majorité qualifiée ».
Des distorsions de concurrence.
Au problème de la libéralisation s’ajoute celui de la compétitivité. En effet, les coûts de production varient beaucoup entre les 27 membres de l’Union Européenne, et à fortiori dans le monde, pénalisant grandement les producteurs français. « Les coûts de la main d’œuvre, de la protection sociale, des charges environnementales sont plus lourdes en France que dans les autres pays » confirme Michel Masson, « à titre de comparaison un saisonnier coûte plus de 12€/heure en France tandis qu’en Allemagne ou en Espagne, ils coûtent 6€/heure. Sachant que pour les fruits et légumes, la main d’œuvre représente 60% du coût de production, la différence désavantage l’agriculteur hexagonal ».
Nicolas Lefaucheux, producteur de lait et secrétaire général des Jeunes Agriculteurs : « il y a, dit-il, des distorsions de concurrence qui sont évidentes avec nos voisins européens car on cumule beaucoup de handicap ». D’autant que la France a instauré des lois très contraignantes sur l’écologie avec le grenelle de l’environnement. « C’est louable » admet Nicolas Lefaucheux, même si Xavier Beulin remarque que « le Grenelle de l’environnement a fait exploser les coûts de production pour le producteur français alors que la concurrence est déjà cruelle ».
« Nous sommes dans un marché unique avec des règles différentes d’un pays à l’autre. Par exemple, l’Allemagne possède un avantage concurrentiel de 4% par rapport à la France » argumente Xavier Beulin. Sur ce point, Michel Masson énonce encore « le coût élevé de l’éco-conditionnalité, par exemple, avec l’utilisation d’insecte prédateur à la place d’insecticides. Cette éco-conditionnalité est respectée à 99% en France et à 10-15% dans d’autre pays européens. Cela n’est pas sérieux ». Les producteurs attendent un allègement de ces contraintes, qui pourrait être discuté à la fin d’année dans le cadre de la Loi de Modernisation Agricole, avant que le droit européen uniformise peut-être cette compétitivité avec la réforme de la PAC en 2013.
Une grande distribution trop puissante.
Le volet de la grande distribution pose également de réels problèmes. Le dossier des prix et marges est essentiel pour les producteurs car près de 85% de la consommation française passe par la grande distribution.
« C’est un monopole » dénonce Michel Masson, et Xavier Beulin abonde dans le même sens, « cinq centrales d’achats regroupent presque toutes les transactions alimentaires. En plus, les grandes surfaces font des marges qui sont incohérentes avec le marché. Il faut une transparence totale des marges. C’est un des sujets majeurs des discussions qui vont être entamées lors de la LMA ».
La grande distribution fausserait en effet le jeu de la concurrence avec des moyens de pression important : sur les 10 000 entreprises de transformation de la matière première présente en France, la plupart travaille pour la grande distribution.
Une baisse constante du budget de la PAC
La PAC est le premier budget européen puisqu’en 2007 avec 54,7 milliards €, elle a représenté 42,7% du budget communautaire. Cette proportion était de 70% en 1984. En 2013, elle devrait être de 39,2%. « Les pays du Nord de l’Europe souhaitent même diminuer ce budget à 20-30% à partir de 2010, poursuit Xavier Beulin, année qui sera entamée par une présidence européenne de la Suède ».
Le président de la FDSEA, Michel Masson, pense qu’il faudrait « un budget flexible qui tienne compte des aléas climatique et économique, à l’image de ce que font les Etats Unis ». En tout cas, les discussions ont déjà commencé dans les couloirs Elyséens et Bruxellois pour afficher son point de vue sur l’orientation de la PAC.
Avec les soubresauts du marché que connait l’alimentation, dernièrement avec le lait, le problème est primordial. Et de véritables décisions devront être prise pour stabiliser une économie erratique et très concurrentielle. Mais, les producteurs français auront fort à faire pour faire entendre leur idée d’une PAC qui régule, encadre les marchés et soutient les producteurs. Car ce pilier historique de l’économie Européenne prend à l’inverse une direction libérale et de désengagement. Comme le fait remarquer Xavier Beulin, « nous avons intérêt à prendre les devants, égaliser la compétitivité, réguler le marché et utiliser des systèmes d’aides annexes ».
Des agriculteurs dépendant des aides de la PAC !
Depuis les réformes de 1992 et 1999, la garantit des prix, assurée par la PAC, a été remplacée par le versement d’aides directes. « En 1992, les agriculteurs ont manifesté contre cette réforme de la PAC, rappelle Michel Masson, car ils ne voulaient pas des nouvelles modalités de subventions ». La réforme de 2003 a parachevé cette évolution pour instaurer le découplage total des aides. « Cela n’a aucun sens, car donner une aide linéaire à l’hectare quelque soit le types de production est stupide » dénonce Michel Masson. Pourtant même si elles sont inadaptées, elles restent primordiales ajoute-t-il. La PAC est devenue aujourd’hui, avec son lot de tracasserie administrative, le révolver sur la tempe. Car sans les aides, nous sommes morts » conclut Michel Masson.
Ce constat sans appel est partagé par Nicolas Lefaucheux, producteur de lait et secrétaire général des Jeunes Agriculteurs, « mes revenus dépendent en grande partie des aides européennes, qui permettent aux agriculteurs de ne pas faire faillite. Ces sommes sont là pour compenser des prix qui ne permettent pas une rentabilité de nos exploitations ». La France est la première bénéficiaire de ces aides directes puisqu’en 2006, elle a perçu 20,3% du budget de la PAC, devant l’Espagne (13,4%), l’Allemagne (13,2%) alors qu’elle a fourni 16,3% des ressources de l’UE, derrière l’Allemagne (20%) et devant l’Italie (13,2%).
Le montant total des aides perçues par les agriculteurs français s’élève environ à 10.5 milliards d’euros par an. Cependant, avec le passage à 27 membres, cette tendance va s’inverser et la France donnera plus qu’elle ne recevra. « On ne demande pas des aides par principe » insiste Michel Masson, « c’est pourquoi nous réfléchissons à un autre système, comme une assurance sur les risques économiques au cofinancement public-privé ».
Cela responsabiliserait la filière, devenue trop dépendante de ces aides et éviterait les écueils comme les 500 millions récemment réclamé aux producteurs de fruits et légumes par Bruxelles. A ce propos, Michel Masson a tenu à réagir « les agriculteurs ont obtenu ces aides en toute légalité et n’y sont pour rien dans cette histoire. C’est l’Etat français qui a oublié de déclarer ces subventions à l’Europe. C’est l’Etat qui s’est pris les pieds tout seul dans le tapis donc c’est à lui de régler cette affaire ».
Article paru dans Acteur Eco le 26/08/2009
Auteur : Jérémy PARARD